Interview et texte : Sini Sovijärvi

 

Raja Rabia, ambassadrice de France en Finlande, en septembre 2024.  Photo : ambassade de France 

— Il faut retrouver l’esprit d’Helsinki, il faut réinventer le dialogue, car nous n’avons pas de planète B. Il faut réapprendre à se parler.

 

La nouvelle ambassadrice de France en Finlande, Raja Rabia, a quitté sa Tunisie natale avec sa famille pour la France à la fin des années 1970. L’époque était propice à la venue de travailleurs immigrés en Europe. La jeune et courageuse Raja a été admise à la Sorbonne pour étudier les langues et bientôt aussi dans le prestigieux Institut d’études politiques. Elle est diplômée des deux. Forte d’une belle carrière internationale, elle est aujourd’hui une cosmopolite de haut niveau qui souhaite relever les défis croissants de la diplomatie.

̶  J’ai occupé des postes à Londres, Bruxelles, Paris et La Haye. En 2015, j’ai été nommé Ministre Conseiller de l’Ambassade de France au Caire et en 2018 Consul Général à Dubaï. Avant la Finlande, j’ai été ambassadeur au Soudan de 2021 à 2024.

̶  Mon profil de diplomate est centré sur l’Europe et le Moyen-Orient et s’intéresse particulièrement aux questions économiques. Il me semble important d’être présent sur les enjeux des deux domaines à la fois. Le Moyen-Orient m’est naturellement familier, car je parle arabe et je suis entrée au ministère des Affaires étrangères par la filière Orient du Quai d’Orsay. Je suis également fortement favorable à la diplomatie culturelle.

̶  Le multilatéralisme m’a toujours particulièrement intéressée. J’y travaillais déjà à Bruxelles, tant dans mes fonctions liées aux Nations Unies qu’à l’Union européenne. Au ministère des Affaires étrangères à Paris, j’ai travaillé dans le suivi des affaires économiques de l’Afrique et du Moyen-Orient. Dans la diplomatie moderne, l’économie joue un rôle bien plus important qu’auparavant. Dans le travail dit de terrain, par exemple en Afrique du Nord ou au Moyen-Orient, les diplomates travaillent en permanence en lien avec la politique, mais lorsque l’on revient à d’autres tâches à Paris, il faut aussi se concentrer sur d’autres choses.

̶  Les diplomates d’aujourd’hui effectuent un travail multidimensionnel. Le fait que les Jeux olympiques aient été organisés en France est en grande partie le résultat d’un travail diplomatique. Ce travail est effectué non seulement par les ambassadeurs mais également par leurs équipes. La diplomatie culturelle opère également en dehors des ambassades, par exemple dans les Instituts français. Quand j’étais étudiante, j’aimais visiter l’Institut finlandais à Paris, il y avait toujours des expositions intéressantes. Pour moi, cela représentait l’exotisme du Nord.

̶  Je travaille dans le domaine depuis 30 ans, mais seulement maintenant nous avons quasiment l’égalité en matière de recrutement. Dans notre « nid », le ministère des Affaires étrangères, il n’y avait en 1994 que 12 femmes pour 165 ambassades. Aujourd’hui, les nominations de femmes ambassadeur dépassent les 40%. Anne-Marie Descôtes est actuellement secrétaire générale du ministère des Affaires étrangères, après avoir exercé les fonctions d’ambassadeur à Berlin. Nous avons une ambassadrice à Londres. En outre, des femmes ont été ambassadrices à Pékin et à Moscou.

̶  Mais qu’un diplomate soit un homme ou une femme, les défis d’aujourd’hui sont immenses et le maître mot est l’adaptation. On change d’affectation tous les trois ans et il faut s’adapter. Notre boîte à outils est toujours la même : une ambassade qui dispose des outils nécessaires qui nous sont déjà plus ou moins familiers. On dépose nos valises dans un nouveau poste. Le diplomate d’aujourd’hui doit également être très vigilant, car le plus grand défi de notre travail est la sécurité.

̶  Je ne veux pas associer plus l’adaptabilité aux femmes qu’aux hommes, mais je pense que les femmes sont plus courageuses. Au Soudan, 18 mois seulement avant la guerre civile, notre mission employait de nombreuses jeunes femmes. Les femmes sont des femmes très performantes, d’éternelles étudiantes qui veulent se surpasser.

A-t-on encore besoin de diplomates alors que tous les canaux numériques nous permettent de communiquer au-delà des frontières des pays ?

̶  Oui, il le faut, car les médias ne disent jamais tout. C’est précisément là qu’intervient le rôle des diplomates dans le pays d’accueil ou dans une organisation multilatérale : nous sommes présents pour ce qui n’est pas dit à voix haute dans les médias. Il faut des diplomates pour expliquer pourquoi nous nous trouvons actuellement dans telle ou telle situation. Il leur est demandé d’avoir une grande sensibilité pour suivre et comprendre – et aussi d’avoir la capacité d’expliquer les choses.

Le multilatéralisme est une vieille tradition en Finlande, en coopération avec la France, et il constitue un élément important de la réflexion de nos pays. La Finlande est membre de l’OCDE depuis longtemps (1969). L’acte final d’Helsinki (CSCE 1975) mettait l’accent sur le dialogue, même s’il existait une relation froide et sceptique entre l’Union soviétique et les pays occidentaux.

̶  Quand on pense à un pays comme l’Ukraine qui, en 2022, sans aucune provocation de sa part, a été attaqué par son pays voisin, ce genre de chose est tout simplement inacceptable. On assiste à un affaiblissement du multilatéralisme, la Charte de l’ONU est aujourd’hui en mauvaise posture, piétinée. Même le projet européen est menacé, comme en témoigne le Brexit.

̶ ̶  Il faut retrouver l’esprit d’Helsinki, il faut réinventer le dialogue, car nous n’avons pas de « planète B ». Il faut réapprendre à se parler. La tâche fondamentale des diplomates est le dialogue. Cela doit être renforcé. Je veux investir dans cela ici en Finlande.

Raja Rabia est joyeuse, ouverte et curieuse sur la Finlande. Notre pays figurait sur la liste de ses souhaits d’affectation. Son mari est norvégien et connaît les pays nordiques. La France et la Finlande se vouent une admiration mutuelle et naturelle. La Finlande intéresse véritablement les Français par sa modernité, et c’est justement par son étrangeté septentrionale qu’elle est mythique :

̶̶ ̶  La Finlande est notre alliée, un pays européen avec lequel la France a beaucoup de points communs. Il existe un intérêt et une admiration mutuels entre nos pays. Je sais que les Finlandais admirent passionnément la France depuis longtemps, cela se voit dans les œuvres des artistes finlandais. Environ 300 000 touristes français viennent chaque année en Finlande, et ce nombre augmente. Et plus de 260 000 touristes finlandais visitent la France chaque année. Les Français voient la Finlande comme un pays nordique et ce n’est que positif. Un pays moderne, différent et positivement exotique. Il y a ici un air de conte de fée. C’est le royaume des elfes.

Tout est réuni pour une excellente coopération.

Ambassade de France à Helsinki, le 11 novembre 2024. À droite, Raja Rabia, ambassadrice de France en Finlande, avec Sini Sovijärvi, présidente du Cercle franco-finlandais de Helsinki, devant le portrait de Maurice de Coppet, ministre plénipotentiaire en Finlande de 1923 à 1929. Photo : Joël Ferrand

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L’ambassadrice de France Raja RABIA est entrée au Quai d’Orsay en 1994 avec une maîtrise de langues étrangères appliquées (anglais et arabe) obtenue à l’université de Paris-IV Sorbonne en 1990.

Elle est également diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris en 1992.

Au cours de sa carrière diplomatique, elle a occupé différentes fonctions à Paris et à l’étranger : Tripoli, Londres, Bruxelles (questions européennes), La Haye (non-prolifération chimique), au Caire (numéro deux), à Dubaï (Consule générale) et au Soudan en qualité d’ambassadrice de 2021 à 2024.

Elle est nommée ambassadrice en Finlande en juin 2024. L’ambassadrice est officier de la Légion d’Honneur, chevalier de l’Ordre National du Mérite et Médaillée d’Honneur Or du Ministère de l’Europe et des affaires étrangères

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L’interview publié sur le site de la Fédération des associations franco-finlandaises SRYL (Fran-Su), en finnois, le 17 décembre 2024 : https://www.suomi-ranska.com/wp-content/uploads/2024/12/Fran-Su-2-2024.pdf