Image fournie par l’éditeur P.O.L.

Emmanuel Carrère: YOGA
P.O.L.
Parution août 2020
400 pages

Ce n’est pas un hasard si je commence mon blog avec Emmanuel Carrère – l’un de mes auteurs contemporains préférés – et son magnifique roman Yoga, paru en France l’année dernière (2020).

Chez Carrère, j’aime la précision et la beauté de son franҫais, sa manière de faire de sa langue maternelle un outil merveilleux au service de ses pensées pas toujours simples, mais toujours d’une extrême lucidité. J’aime la réflexion et la lumière philosophique qui se cachent derrière ses mots, la magie que forment ses phrases soigneusement raisonnées, et cette perpétuelle recherche de la vérité qui se poursuit d’un ouvrage à l’autre.

Enfin, je me sens très bien au creux de ses livres. Tellement bien d’ailleurs que j’en ai traduit trois (La Classe de neige – Huviretki painajaisiin, Moustache – Viikset, Limonov) et que, en ce moment, j’ai le plaisir et l’honneur de travailler sur la version finnoise de Yoga qui paraitra en Finlande l’année prochaine, édité par Sammakko.

Emmanuel Carrère, écrivain français (né en 1957, à Paris). Photo : Wikimedia Commons.

« Puisqu’il faut commencer quelque part le récit de ces quatre années au cours desquelles j’ai essayé d’écrire un petit livre souriant et subtil sur le yoga, affronté des choses aussi peu souriantes et subtiles que le terrorisme djihadiste et la crise des réfugiés, plongé dans une dépression mélancolique telle que j’ai dû être interné quatre mois à l’hôpital Sainte-Anne, enfin perdu mon éditeur qui  pour la première fois depuis trente-cinq ans ne lira pas un livre que j’ai écrit, puisqu’il faut donc commencer quelque part, je choisis ce matin de janvier 2015 où, en bouclant mon sac, je me suis demandé s’il valait mieux emporter mon téléphone, dont j’aurais de toute faҫon à me défaire là où j’allais ou le laisser à la maison. »

C’est un innocent stage de yoga avec ses séances de méditation qui, à la manière d’une spirale, nous entrainent vers la dépression et le terrorisme, vers l’aspiration à l’unité et le trouble bipolaire de l’auteur. Fidèle à ses habitudes, Carrère annonce d’emblée la couleur : en somme ce premier paragraphe résume l’histoire qui ne fait que commencer. Le suspense chez Carrère réside  dans le déroulement du récit, et non dans son dénouement. « Des choses qui n’ont pas l’air d’aller ensemble. En réalité, si : elles vont ensemble », affirme Carrère en quatrième de couverture de son livre Yoga.

Le récit prend sa source dans l’année singulière et terrible de 2015 qui commence en France avec l’attentat de Charlie Hebdo, suivi de la crise migratoire qui touche l’Europe entière. L’année marquera la fin de son mariage, dont il était si fier, la rupture avec sa maîtresse avec qui il entretenait une relation érotique singulière. Pour remédier à son malaise, il part en reportage en Irak à la recherche d’un mystérieux « Coran de sang », il fait un séjour sur une île grecque parmi des jeunes migrants qui lui racontent leur périple.

 » Ce que j’appelle yoga n’est pas seulement la bienfaisante gymnastique que nous sommes si nombreux à pratiquer, mais un ensemble de disciplines visant l’élargissement et l’unification de la conscience. Le yoga dit que nous sommes autre chose que notre petit moi confus, apeuré, et qu’à cet autre chose nous pouvons accéder. « 

Ainsi se juxtaposent la vie intime et amoureuse et la vie du monde : le terrorisme et la crise migratoire. L’écrivain est hospitalisé à Sainte-Anne, et traité à l’ECT (électroconvulsothérapie), autrefois appelés électrochocs. Il raconte son séjour halluciné, son désir suicidaire, l’impossibilité de se rassembler, de se réunifier.

Yoga est le roman d’une quête pour devenir meilleur, quelqu’un de bien. C’est une expérience littéraire limite pour toucher l’âme humaine, interroger notre désir de salut, d’équilibre, et les techniques pour y parvenir. Un miroir de vérité que Carrère observe sans concessions et sans pitié dans les tourbillons de la difficulté bouleversante d’être soi.

 

Kristina Haataja, traductrice littéraire,  écrivaine. Photo : archives de Kristina Haataja.

Bonne lecture ! 

Kristina Haataja

 

 

 

 

 

 


Bibliographie (non exhaustive) d’Emmanuel Carrère 

 

Romans

L’Amie du jaguar, Flammarion, 1983

Bravoure, POL, 1984

La Moustache, POL, 1986

Hors d’atteinte ?, POL, 1988

La Classe de neige, POL, 1995

Récits

L’Adversaire, POL, 2000

Un roman russe, POL, 2007

D’autres vies que la mienne, POL, 2009

Limonov, POL, 2011

Le Royaume, POL, 2014

Yoga, POL, 2020

Essais, recueils d’articles

Werner Herzog, Edilig, Paris 1982. Monographie sur le réalisateur

Le Détroit de Behring : Introduction à l’uchronie, POL, 1986

Je suis vivant et vous êtes morts, Le Seuil, 1993, biographie romancée de Philip K. Dick

Il est avantageux d’avoir où aller, POL, 2016

Déjà parus en traduction finnoise 

Valhe (L’adversaire), Like 2000
Huviretki painajaisiin (La Classe de neige), Like 2001
Viikset (La Moustache), Like 2002
Limonov, Like 2013