Livres d’Annie Ernaux. Photo: Kristina Haataja

 

Quelle bonne nouvelle, le prix Nobel de l’année 2022 !

Annie Ernaux que je lis depuis mes premières années passées en France, au début des années 80, Annie Ernaux dont je n’ai cessé de parler à mes amis en Finlande, même d’en proposer des traductions à certains éditeurs. De louer la qualité et la sincérité, la puissance de son écriture. Et, bien évidemment, de l’avoir introduit, il y a longtemps, dans notre Atelier de littérature qui se réunit dans le cadre du Cercle franco-finlandais d’Helsinki.

Annie Ernaux fait partie de ces quelques très rares auteurs français qui, au fil des leurs ouvrages, sont rapidement devenus des amis littéraires et spirituels. En quelque sorte des amis dont les écrits font écho en moi, des paroles qui résonnent directement dans ma propre vie. Pour moi, il y a Marguerite Duras, Emmanuel Carrère et Annie Ernaux puis toute une légion d’autres plus lointains dont j’aime toutefois suivre le parcours, sans oublier évidemment des classiques de ma jeunesse comme Camus, Sartre et Beauvoir.

Je ne peux m’empêcher de comparer Annie Ernaux et Marguerite Duras. L’usage économe des mots, la facilité apparente du vocabulaire qui font que chaque phrase possède une pesanteur singulière. Chaque mot a sa place. Pas de répétitions, pas d’explications, pas de complications. L’enjeu de la lecture se cache dans la simplicité. A la lecture, ces phrases dépouillées qui ouvrent la porte sur l’univers de l’auteur viennent directement percuter ma propre vie. Sans détour et sans manière. Comme de vrais amis, j’ai un besoin viscéral de les retrouver, de marcher auprès d’eux, avec eux. Comme dirait mon ami Arnaud : « On n’a pas fini de se rencontrer… »

Curieusement, tout en obtenant un grand nombre de prix, Annie Ernaux ne s’est jamais vue décernée en France le plus prestigieux, celui du Goncourt. (Marguerite Duras l’a eu à l’âge de 70 ans, on pourrait penser que Annie Ernaux l’a raté avec les Années à l’âge de 68 ans…). L’autrice d’un public plutôt restreint, mais résolument fidèle, elle a été plus ou moins boudée par la critique de son pays jusqu’à la parution des Années. (Un peu comme Duras jusqu’à l’Amant) Cette magnifique chronique des années de sa vie qui, à la manière d’une radiographie, tout en traversant la société française et faisant resurgir chez le lecteur images et odeurs, finira par séduire les critiques français.

Comme dans pratiquement tous les textes d’Ernaux, les souvenirs intimes et personnels de l’autrice rencontrent les souvenirs intimes et personnels du lecteur.

Bonheur et magie de la littérature

Annie Ernaux a grandi dans la petite bourgade d’Yvetot, dans le petit appartement au-dessus de la boutique de ses parents, dans une France d’avant 68. Elle le raconte notamment dans La Place qui a certainement été le premier livre que j’ai lu d’elle, en tout cas le premier qui a marqué notre « amitié littéraire ». A partir de là, je ne l’ai plus lâchée. J’ai eu la chance d’aller présenter mon livre Nuit à la bibliothèque d’Yvetot dans le cadre du festival Boréales en Normandie. Une belle rencontre, suivie d’un dîner en auberge espagnole, dans les locaux de la bibliothèque. C’était féérique et insolite, ce lieu de littérature vide de passants et de bruit. On y percevait le silence des livres.

Annie Ernaux, Le Salon du livre de Turin 2017. Kuva: Wikimedia Commons

Cette écriture dénudée et exigeante est surtout d’une extrême sincérité. Elle n’invente pas, elle ne triche pas. Vigilante au possible, elle est d’une grande loyauté, non seulement envers elle-même mais également envers le lecteur. Une telle fidélité possède un prix que Annie Ernaux connait bien. Dans une interview elle a avoué avoir renoncé à l’homme aimé afin de préserver l’écriture. Il avait fallu choisir entre les deux : elle a opté pour l’écriture. Sans doute avait-elle fait ce choix déjà bien avant, le confirmant à chaque ouvrage en serrant ainsi le lien entre l’écriture et sa vie, les rendant inséparables, ne laissant rien pénétrer entre les deux. Du beau travail.

Ses livres ne sont pas réalistes, ils sont réels. Ils ne cachent pas, ne tournent pas autour du pot. Ils vont chercher les bribes de souvenirs afin de les sauver de l’oubli. Pour qu’elle, elle n’oublie pas, pour que nous, nous n’oublions pas.

Un beau cadeau pour l’humanité

Il faut que je raconte ma rencontre avec Annie Ernaux (car j’en suis trop fière…). Ce devait être en 2000 lors de la sortie de son très beau livre L’Événement aux Boréales à Caen. Je me suis mise dans la file d’attente pour la dédicace. Étant la dernière, je me suis permise de lui dire que moi aussi j’ai écrit un livre sur l’avortement, mais c’est en finnois. Elle m’a regardé et m’a dit : « Envoyez-le moi quand il sera traduit en français ». A l’époque il n’était pas du tout question de publier mon livre Nuit en France. Néanmoins, deux ans plus tard Nuit est sorti, toujours aux Boréales qui est un magnifique festival d’arts et de littérature nordiques mettant à l’honneur les cinq pays nordiques. J’ai envoyé mon livre à Annie Ernaux, comme promis. Elle m’a répondu par une lettre adorable et sincère où, je le voyais bien, elle avait tout compris. En profondeur. Cette écrivaine que je respecte tant est aussi une excellente lectrice.

 

Kristina Haataja,

écrivaine et traductrice littéraire, membre du conseil du CFF de Helsinki

 

Kristina Haataja, écrivaine, traductrice littéraire. Photo : Archives de Kristina Haataja. 

   

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Blog du CFF de Helsinki par Sini Sovijärvi